Textes primés du concours d'écriture "Les chroniques d'Harris Burdick"

1er texte primé : "Les sept chaises" de Claire

LES SEPT CHAISES

Au départ, il voulait en fabriquer une seule. D’abord parce que c’est difficile à faire et ensuite parce que ce n’était pas du tout son métier. Lui, c’était un marin. Il savait grimper sur la vergue la plus haute du mât de misaine, hisser la brigantine et boire des bons coups. Il aimait sa vie à bord du Mooie Pekel. Mais il l’avait fui quand ça avait commencé à devenir trop bizarre. Le capitaine, Karel van Strokke, se vantait de pouvoir faire tout ce qu’il voulait, de venir d’une famille de sorciers, qu’ils allaient voir ce qu’ils allaient voir, etc. C’est vrai qu’ils ne manquaient jamais d’alcool, ni d’eau douce d’ailleurs, et qu’il y avait toujours des citrons en veux-tu en voilà. C’était étonnant car tous puisaient sans retenue dans ces tonneaux. Ensuite les réserves de nourriture ne s’épuisèrent plus. Et puis, ils se lancèrent à l’abordage des navires seulement pour se procurer des femmes. Ils faisaient escale de plus en plus rarement. Hendrik van Dhongt se sentait de plus en plus mal à l’aise. Il ne savait plus quoi penser, le capitaine, c’est le capitaine quand même. Pourtant, son malaise persistait. Jusqu’au jour où van Strokke convoqua tout le monde sur le pont avant. Le capitaine prit la parole. Immédiatement, Hendrik sut que quelque chose clochait. La voix du capitaine modulait un chant plus irrésistible que celui d’une sirène de concours. Il leur annonça qu’il leur garantissait la fortune, une vie de roi et l’immortalité. La seule condition était de ne plus jamais mettre pied à terre. Il fallait prendre sa décision là tout de suite, accepter ou être débarqué sur le champ. « Qui veut vivre une vie de limace ? » lança van Strokke en balayant les hommes de ses yeux bleu smalt. Hendrik leva la main, persuadé que c’était une blague. Pas du tout. On l’évacua au son d’une ritournelle inventée pour l’occasion où il était question de cloporte jaune, de rat et autres expressions d’extrême mépris.

Une fois à terre, il rejoignit Uitgeest, son village d’origine. Pour expliquer son retour, il inventa une vague histoire de maladie à bord qui l’avait épargné et se trouva une petite maison à la lisière du village. Se loger, se nourrir et les soirées à la taverne vinrent vite à bout de sa solde. Il était impératif qu’il arrive rapidement à subvenir à ses besoins. Mais comment ? Il n’y pas de deux-mâts dans les villages, jamais en fait.

Une nuit, il rêva d’une assiette de snert posé sur une chaise. Et pas n’importe quel snert, non, celui avec de la viande bien grasse et bien juteuse. C’est son drap tout mouillé de salive qui, en devenant froid, l’éveilla. « Ce n’est pas ça qui va me nourrir», se désola t-il. Du coup, il rassembla toute sa monnaie et passa la journée à la taverne. Réaction idiote, car à la fermeture, il avait à peine de quoi payer ce qu’il avait bu. Il rentra tant bien que mal et s’affala sur le sol directement derrière sa porte. Cette nuit-là, il rêva de la même assiette de snert, mais cette fois posée à côté de morceaux de bois, eux-mêmes posés sur de la paille. Comble de l’humiliation, il avait encore bavé. Il se leva énervé mais surtout migraineux. Il ouvrit sa fenêtre, l’orienta de façon à voir son reflet dans l’un des petits carreaux, ce qui lui prit un bon moment, ce n’est pas facile quand la fenêtre bouge autant que le sol, et se dit à lui-même : « Foi de Hendrik, je vais me le manger ce snert-sur-chaise, même si je dois fabriquer la chaise moi-même. » Il ne possédait qu’un tabouret et était encore saoûl.

C’est à Monnickendam qu’un vieux menuisier sourd lui avait appris à travailler le bois. Même que le vieux lui avait dit qu’il se débrouillait bien. Il avait été envoyé là-bas chez ses grands-parents maternels quand sa petite sœur était née. Il était resté plusieurs mois car le bébé était malingre, réclamait soins et potions, et avait fini par mourir, ce qui prend du temps. À son retour, il avait annoncé qu’il voulait devenir menuisier. Son père lui fila deux claques, lui rappela que chez les Dhongt on est marin, c’est pas un morveux qu’a survécu qui va changer ça, non mais des fois.

Encore sous l’effet des consommations de la veille, il partit à la recherche de bout de bois et de belle paille. Il trouva le tout dans une vieille bâtisse abandonnée. De retour chez lui, dégrisé, il fut tenté de retourner à la taverne, mais se souvint à temps qu’ils ne faisaient pas crédit. Devant lui, le bois et la paille ; en mémoire, ces bon sang de rêves ; et surtout la faim au ventre. Il sortit son couteau et commença à tailler le bois. Les mains occupées, son esprit vogua, « comme le Mooie Pekel » se dit-il. Et il se souvint. Le capitaine, il faisait des gestes étranges au-dessus du tonneau des citrons. Pareil au-dessus des tonneaux d’eau douce. Si ça se trouve, il faisait les mêmes trucs à la cambuse. Il l’avait vu faire. Les autres aussi, mais eux pensaient que c’était l’alcool qui le faisait mal bouger, qu’il faisait le singe, quoi. « Et si c’était autre chose ? » se demanda Hendrik. « Et si le pacha était vraiment sorcier ? » Ses mains continuaient à tailler, mais il tâchait surtout de se remémorer les gestes de van Strokke. Finalement, il se concentra sur l’assemblage de la chaise.

Ce fut un désastre. Rien ne tenait avec rien, tout s’écroulait, quelque soit la manière dont il s’y prenait, il se retrouvait toujours avec un tas de petit bois. Quant à l’assise en paille, ce n’était même pas la peine d’y penser. Au moins il n’avait plus faim. Enfin, pendant qu’il s’acharnait à fabriquer cette chaise, n’exagérons rien. Il se jura d’essayer encore et encore jusqu’à ce qu’il produise une chaise digne de ce nom. Il dut retourner à la vieille bâtisse, se loupa une deuxième fois, mais là, c’est seulement le dossier qui tombait, et à la troisième tentative, il avait une superbe chaise. Oui, Hendrik van Dhongt avait fabriqué une chaise magnifique. Il était radieux et quasi mort de faim. Quatre jours à ne boire que de l’eau. Même quand il était moussaillon, on ne l’avait pas privé à ce point-là. Il réussit à s’asseoir sur le tabouret en face de sa chaise et essaya d’imiter les gestes du capitaine Karel van Strokke. Il se sentit bête, mais bête. Tout en faisant ses passes, il murmurait « j’veux du snert, j’veux du snert ». Bien sûr, il ne se passa rien. Il n’y avait dans la maison de Hendrik van Dhongt qu’un homme au teint jaune assis sur un tabouret battant bizarrement des bras devant une belle chaise. Il tomba du tabouret et pleura. Personne pour le voir baver et essayer de faire de la magie, ça veut dire personne pour le voir pleurer. Au point où il en était, plus rien ne pouvait lui faire honte. Il se dit qu’il serait obligé de voler pour survivre et s’endormit.

À son réveil, il remarqua qu’il n’avait pas bavé. En se demandant pourquoi il se faisait cette remarque stupide, il vit la chaise, ce qui le fit penser au snert, et jura. Il saisit la chaise, la balança contre le mur et interloqué, la vit retomber intacte. Sa colère augmenta, il l’empoigna par le dossier, la claqua sur le sol et lui gueula : « JE VEUX DU SNEEEEEEEEEERT ! ». L’assiette vue en rêve apparut sur l’assise. Il recula et bafouilla : « je veux du snert, s’il vous plaît. » Une autre assiette apparut sur la première, ce qui les fit tomber toutes les deux. Maintenant, il y avait dans la maison de Hendrik von Dhongt, un homme en larmes devant une bouillie de vaisselle cassée, de pois, de légumes et de saucisses fumantes. Hésitant et reniflant, il trempa son index au milieu de la masse odorante et la porta à son nez, le tout avec force « Mariemèrededieuprotégezmoi ». Cela sentait vraiment bon et son estomac lui enjoignit de fourrer ce doigt dans sa bouche, ce n’est pas par le nez qu’on mange, espèce d’idiot. Ce qu’il fit. Ô cette douce sensation, cette chaleur bienfaisante, le monde devient beau, etc. Mais il en avait vu d’autres et savait raison garder. Il en avait vu plusieurs, de ces naufragés agrippés à leur radeau, se jetant sur tout ce qu’on leur proposait une fois à bord et, avec un regard extasié, mourir dans un rot.

Il se rempluma posément et essaya diverses manœuvres avec sa chaise. Il s’avéra qu’elle pouvait fournir à manger et à boire, ni plus ni moins. Il lui suffisait de se tenir debout et non assis devant elle et de prononcer le nom du plat ou de la boisson désirée. Il était sauvé. Pour donner le change, il quittait régulièrement Uitgeest, pour travailloter au port le plus proche. Quand on est marin et astucieux, on trouve toujours des petits boulots vers Zeeburg. Il revenait avec assez de florins pour faire quelques emplettes au marché et passer du bon temps à la taverne. Sa vie lui plaisait et la mer ne lui manquait pas, ce qui ne laissait pas de l’étonner. Au fil des mois, il avait trouvé une agréable manière de fonctionner.

Pourtant, il voulait que quelque chose se passe, il se sentait seul, les amis de taverne, ça va un moment, et puis avec l’hiver, il avait froid dans sa maison humide, le bois, c’est cher. Alors, une nuit, il retourna à la vieille bâtisse, et fabriqua une autre chaise. Celle-ci fut réussie du premier coup. Il se tint perplexe devant son œuvre : comment s’y prendre puisqu’il ne voulait pas d’une autre chaise-gargote de luxe. Il voulait d’une chaise qui lui fournisse du bois de chauffage. Il répéta ce qu’il avait fait avec la première chaise : les passes, la balancer contre le mur, la claquer sur le sol en la tenant par le dossier, jurer, lui hurler « JE VEUX DU BOIS DE CHAUFFAAAAAAAAGEU ! ». Il se força même à pleurer devant elle. Résultat : nul, rien, rien de rien, l’horreur. Il se dit qu’on résiste mieux au froid qu’à la faim, il n’y a qu’à s’agiter. Mais le froid humide, ça rend malade, on tousse et on en meurt. Pour Hendrik, c’était hors de question. En plus d’être marin et astucieux, il était obstiné. Il l’aurait, son bois de chauffage.

À force de répéter les passes qui font apparaître à manger, il avait senti dans son corps un lien entre la nourriture et cette espèce de danse des bras. La nuit, car il ne faut pas pousser, en journée quelqu’un pouvait débarquer chez lui et s’il le trouvait en train de gesticuler dans sa cuisine il était fichu, la nuit donc, il essayait divers mouvements qui résonneraient « bois de chauffage » dans son corps. Il se dit qu’il devrait trouver assez vite sinon il allait devenir cintré pour de bon. Mais son obstination et la perspective d’une maison douillette le guidaient. Il finit par trouver, car un matin, en essayant les passes qu’il avait trouvées la nuit, un énorme tas de bois s’abattit devant la cheminée. Il eut juste le temps de sauter vers la porte sinon, ça lui cassait les jambes. Un peu secoué quand même, il passa le reste de la journée à ranger les bûches. En trois jours, sa maison était tiède comme la taverne, l’odeur de vinasse en moins, un délice. Il eut peur de ce qu’il avait fait. Il se rendit plus souvent au temple et faillit se confesser au pasteur. Mais il s’abstint. Il avait sa petite idée pour compenser ce qu’il croyait être un péché très très grave.

Il fabriqua une troisième chaise. De nouveau la nuit, il essaya des gestes de bras et de mains mais il ne trouvait pas le bon ressenti, il en avait carrément mal aux épaules. Alors il chantonna des « mmmmh » en faisant les gestes. C’était ça ! Il n’attendit même pas le matin et refit ce qu’il venait de trouver devant la chaise avec les mêmes « mmmmh ». Et puis il se dit qu’il était le plus formidable crétin des Alpes. Il ne pourrait vérifier le fonctionnement de cette chaise qu’avec une tierce personne dessus. Comment n’y avait-il pas pensé avant ? Ah, elle était bonne son idée, ça oui. À qui pouvait-il demander de s’asseoir là pour… il ne savait même pas comment dire la chose.

Hendrik était marin, astucieux, obstiné et créatif. Il alla donc voir l’un de ses amis de taverne et lui acheta une poule. Il fit avaler de force au volatile des épluchures de patate crue moisies. Il attendit les premiers symptômes et mit la poule sur la chaise. Immédiatement, la poule retrouva son œil vif, sauta de là et s’en alla picorer. C’était gagné. À la taverne, il commença à raconter que dans sa famille, dans le temps, il y avait eu des coupeurs de feu, qu’il avait maintenant atteint l’âge où les hommes de sa famille recevait ce don, qu’il avait mal aux mains, et que donc il lui fallait l’utiliser, et que non il ne ferait pas payer. Il distilla ces informations sur plusieurs semaines, et en quelques mois, tous les souffreteux du coin étaient guéris. Tout du moins, ceux qui pouvait l’être, il ne faisait pas repousser les membres amputés, ni rendre la vue ou l’ouïe aux aveugles ou aux sourds. Il faisait asseoir les malades sur la chaise et, tout en sachant que cela suffisait, il gesticulait pour la galerie en disant des prières répertoriées, et si la personne gardait un air dubitatif, il roulait des yeux comme il l’avait vu faire par les indigènes de la Barbade, ça les calmait tout de suite.

Forcément, il y eu des demoiselles pour lui faire les yeux doux. L’un d’entre elle était Fytie van Hecke. Très belle, avec un père joailler, elle était l’un des plus beaux partis de la région. Forcément, le papa joailler s’opposa à cette idylle. Forcément, Hendrik parvint à ses fins. Pour cela, il fabriqua une quatrième chaise qui mettait des florins dans sa bourse. Il l’avait bridé à vingt florins, peur de la tentation sans doute. Il voulut acheter une maison digne de convaincre le faiseur de collier, alors il partit faire fortune pendant 3 mois, c’est-à-dire qu’il logea dans une auberge sous un faux nom à Utrecht, rien de tel qu’une grande ville pour se fondre dans la foule. En revenant, plusieurs bourses pendaient à sa ceinture. Il s’assit au moins dix fois de suite sur la quatrième chaise, non mais quelle idée d’avoir bridé cette chaise. Il acheta la maison, invita le paternel van Hecke à un somptueux repas, lui versa une dot convaincante et épousa Fytie. Il continuait à couper le feu, son épouse tenait la maison et il leur naquit un fils, Clemens. C’était un enfant fort et casse-cou, mais surtout il avait une obsession : voler. Dès qu’il avait vu des oiseaux dans le ciel, il voulut faire comme eux, ce qui le fit tomber de toutes sortes d’endroits. Heureusement, Papa avait son don, c’est-à-dire sa chaise. (Il n’avait rien dit à son épouse au sujet des chaises. Il les gardait seulement dans son bureau où il recevait les malades et Fytie ne posa jamais de question). Clemens continuait à vouloir être plus léger que l’air et à se casser tous les os possibles. Hendrik en eut vite assez de voir son fils se blesser. Il fabriqua une cinquième chaise. Il suffisait que Clemens s’assoie dessus pendant que Papa marmottait des paroles de pasteur. Ensuite, c’est avec le bras droit que Hendrick manœuvrait la chaise dans les airs jusqu’à l’atterrissage sur le parquet. Dans ces moments-là, Clemens jubilait et exultait tant que le père et le fils se croyaient à l’étage juste en dessous du Paradis.

Hendrick van Dhongt commença à s’ennuyer. Depuis qu’il menait une vie de notable, qu’il était le mari de Fytie et le père de Clemens, sa vie avait un petit goût de goudron. Il aimait la musique, il était depuis toujours emporté par l’orgue du temple, il aimait écouter sa femme chanter, mais il voulait plus. Il fabriqua une sixième chaise qui lui faisait entendre dans sa tête des sons plus émouvants que la musique des sphères. Il se mit à passer de plus en plus de temps sur cette chaise, devenant irascible quand on le dérangeait pour un malade ou même pour venir dîner. Fytie sentit que quelque chose se détraquait chez son mari. Elle était plutôt finaude et comprit intuitivement que les chaises avaient quelque chose à voir là-dedans. Elle exigea que les six chaises soient installées dans le salon, elles étaient assez belles pour ça. Hendrick s’exécuta. Mais il passait toujours autant de temps le derrière vissé sur une chaise, toujours la même, les yeux fermés et pleurant parfois. Fytie avait été patiente, elle finit par craquer et retourna chez son père en emmenant Clemens. Hendrick ne pouvait pas laisser la situation dégénérer ainsi. Il fabriqua une septième chaise et ramena femme et enfant au domicile. Tout se passa bien, Hendrick écoutait moins de musique, coupait le feu à la demande, ne faisait plus voler son fils, et l’harmonie régnait. On ne sut jamais ce qui s’était passé, mais un matin, Hendrick avait disparu et on ne le revit jamais. Fytie retourna définitivement chez son père. Elle vida la maison et vendit tout ce qu’elle put. Elle ne garda que le bureau de Hendrick qui de toute façon venait de la joaillerie paternelle.
Les chaises connurent des sorts divers. La première n’alla pas plus loin qu’Amsterdam où seulement en 1927, son propriétaire comprit que ce n’était pas une simple chaise. Il n’eut jamais faim et emporta ce secret dans la tombe. La deuxième finit dans la cave du père de Fytie où elle doit être encore. C’est dommage car le chauffage au bois a le vent en poupe de nos jours. La troisième est chez un coupeur de feu en Irlande, Aengus Mehan, à côté de Enniscorthy. Au départ, il n’est pas plus coupeur de feu que moi, mais il fait ça bien et ne se fait pas rémunérer pour ce travail. Hendrick van Dhongt avait-il aussi programmé cet aspect?

La quatrième a échoué chez le gars qui avait vendu la poule à Hendrick. Il en comprit l’usage aussi vite que le secret à garder. Il mourut sans descendance et la chaise disparut après être passée par divers intérieurs dont on ne sait rien. De toute façon, plus grand monde ne porte de bourse à la ceinture et la monnaie est l’Euro. Cette chaise-là n’est plus qu’un siège, où qu’elle soit.

La cinquième s’est arrêtée en France. En 1930, une novice du nom de Marie-Angélique, plus tard Sœur Clotilde, en fit don à l’église Saint-Martin d’Asnelles (Normandie). Après la guerre, l’église fut rénovée et la seule chaise ayant traversé les épreuves était celle-là. Sœur Clotilde profitait de ses rares moments de liberté pour s’y asseoir, prier, méditer ou rêvasser. Un matin de 1947, le curé d’Asnelles reçoit le curé de Courseulles pour estimer le budget nécessaire à l’achat de chaises pour son église. Comme souvent, Sœur Clotilde est sur sa chaise. Face à l’autel, les deux hommes de Dieu disent une courte prière puis se retournent pour esti… Ils se figent sur place, sidération, paralysie. Ils ont les mains dans le dos par réflexe. Ce qu’ils voient est insensé. Ils hésitent entre continuer leur conversation, hurler ou prendre leurs jambes à leur col blanc. Sœur Clotilde a les yeux fermés, elle ne semble pas réaliser où elle est, à quatre mètres du sol ! Ils finissent par crier ensemble le nom de la sœur, ce qui donne « Heuhoooo… », le curé d’Asnelles arrive à bouger un bras, ce qui fait tanguer la chaise, Sœur Clotilde tombe, le père baisse le bras pour courir vers elle et la chaise tombe juste à côté de la sœur. Merci les gestes désordonnés du curé, sinon la sœur y restait. On soigna la sœur, on tenta divers exorcismes, plus rien ne se produisit et l’on mit la chaise derrière le confessionnal. C’est là que les vieilles bigotes stockaient les fleurs fanées avant de les jeter. Elles auraient à se pencher moins bas désormais. Heureusement que personne n’envisagea de mettre cette chaise dans le confessionnal. Il y aurait eu beaucoup de crânes fracassés et Asnelles serait passé pour un village maudit.

La sixième appartint à Glenn Gould. Il n’est pas certain que ce meuble a contribué à son équilibre personnel mais les amateurs de Bach y ont certainement gagné. Quant à la septième, on a cru un moment qu’elle était en Nouvelle Calédonie, mais sa trace a été perdue jusqu’à ce jour.

Le plus étonnant se trouvait dans le tiroir secret du bureau de Hendrick, celui qui venait de la joaillerie de Heer van Hecke. Ce joli meuble marqueté fut rénové à Arnhem en 2012. L’ébéniste, Leendert van Vierweckhout, de renommée mondiale pour son expertise des meubles du XVIIIème siècle, trouva ce tiroir secret. Le dernier à l’avoir manœuvré était Hendrick, quelques jours avant sa disparition en 1753. Il ne contenait qu’un seul papier, plutôt bien conservé. Ce document comporte un tableau, avec lignes et colonnes. Il ressemble à ceci :
1 onverwoestbaar Eten en drinken
2 onverwoestbaar brandhout
3 onverwoestbaar gezondheid
4 onverwoestbaar Gulden
5 onverwoestbaar Vliegen
6 onverwoestbaar Muziek
7 onverwoestbaar Harmonie
8 onverwoestbaar Het, het gedaan
Il existe donc une huitième chaise qui a la mention « Ça, c’est fait ». Et toutes sont indestructibles !? Qu’a bidouillé Hendrick avec cette ultime chaise ? Où est-elle ? Sacré marin, va.