Pièges et sacrifices

Roger Smith

Calmann-Lévy

  • Conseillé par
    9 mars 2015

    Tornade vengeresse au Cap

    Roger Smith quitte cette fois quelque peu les Flats, bidonville effroyable du Cap, théâtre d'une bonne partie de son œuvre. Pas longtemps. Il y revient rapidement au cours de ce thriller implacable où toute l'image parfaite de la première page va voler petit à petit en éclat avec une sauvagerie qui n'a rien à envier à ses précédents opus.

    Une famille « idéale » dans un cadre magnifique, une domestique et ses enfants quasiment adoptés, éduqués, le beau décor de conte de fée de la nation arc-en-ciel, de la réconciliation nationale et de nouveau départ vers un avenir radieux est planté. Oui mais voilà, ça ne tient pas, au premier vent violent, le noir redevient le coupable et le blanc la victime. Les mauvaises habitudes ont la peau dure et la nature humaine ne se laisse pas mystifiée par les discours.

    Sous ses dehors bienveillant, la famille Lane comprend une Beverley arriviste, calculatrice, une salope botoxée capable de tout pour protéger son fils comme elle l'a fait, vingt ans plus tôt, pour son mari dont le passé comporte une tache indélébile. Un passé qui le condamne au silence face aux manœuvres vraiment ignobles de son épouse pragmatique et cynique. Mike est un lâche, un intello falot qui vit dans un monde rêvé, la vieille librairie fondée par son père, tandis que Beverley gagne une fortune dans l'immobilier.

    Le crime de Chris commis, plus rien ne pourra jamais plus être comme avant, plus rien ne tient. Smith nous entraîne à la suite de Louise dans une démolition minutieuse, totale de l'univers des Lane. Pour une fois dans son œuvre, ce n'est pas la misère et l'absence d'éducation qui pilote les désastres, ce sont les faiblesses des humains, leur volonté farouche de préserver l'existant et le mépris de toute empathie. Un fils ou un frère noir ne vaut pas un héritier blanc. Réconciliation nationale ou pas, cette vérité est absolue pour Beverley et l'équation du drame ne peut se résoudre que dans le sang.

    Encore un magnifique thriller de Roger Smith, si possible encore un peu plus noir que les précédents peut-être, la tragédie y a moins d'excuses, mais aussi sauvage que Le piège de Vernon qui était déjà particulièrement sombre. L'alternance entre le lent glissement de Louise dans sa peau de vengeresse et la décrépitude de Mike bouffé par les remords et sa lâcheté en de courts chapitres permet de suivre tous les aspects du récit, de ne pas en perdre une miette, car les miettes comptent aussi, ces petits riens qui font basculer une décision de possible en irrévocable...

    Un roman dur, comme toujours chez Roger Smith, efficace, implacable, qui élargit encore un peu plus sa réflexion sur la violence, servit par une celle écriture sans fioriture, précise comme un rasoir. Un an dans la vie de Mike Lane et Louise Solomons, d'un Noël pathétique à l'autre, dans la chaleur de l'été sud-africains, sur les chemins du délitement des vies...

    La suite de la chronique et la musique du livre sur Quatre Sans Quatre
    http://quatresansquatre.com/article/chronique-livre-pieges-et-sacrifices-de-roger-smith-1425811024