Adieu lou païs, récit
EAN13
9782841874132
ISBN
978-2-84187-413-2
Éditeur
Archipel
Date de publication
Collection
Terroir
Nombre de pages
264
Dimensions
10 x 10 x 2 cm
Poids
100 g
Langue
français
Code dewey
944.592
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Adieu lou païs

récit

De

Archipel

Terroir

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eISBN 978-2-8098-1542-9

Copyright © L'Archipel, 2002.

Cantal, 1945

Les sabots claquent sur le sol gelé. Nous quittons le bourg et cheminons à pas prudents en direction de notre minuscule parcelle de forêt.

Derrière nous, s'étagent les maisons du village. Au loin, les monts de la Margeride limitent l'horizon. Le chemin bordé de murets et de broussailles qui mène au bois, là-bas près du ruisseau, est creusé par les roues des charrettes. Il serpente à travers les pâturages ; boueux à l'ordinaire, il est aujourd'hui figé, dur comme du granit. La lave grise des abreuvoirs de la Fontaine Salée est prise dans une gangue de glace translucide. Le lavoir tout en arrondis ressemble à une patinoire en miniature.

La bise âpre souffle. Ce vent glacial cingle le visage.

Mon père ne semble pas souffrir du froid. Son haleine forme une légère brume vite happée par les bourrasques. Il clopine un peu : avec cette température, la douleur qui souvent bloque sa jambe gauche s'est réveillée. Son regard perdu dans le lointain n'exprime qu'une certaine lassitude. Ou un rêve terni par le temps ? Pense-t-il aux aubes blêmes de Verdun, aux longues années de sa vie qu'il a consacrées à la Grande Guerre ? Le soir, à la veillée, il évoque des souvenirs que plus personne n'écoute. Les tranchées, là, tout près, les Boches, la faim qui vous tenaille, la froidure de la nuit qui ankylose les membres, la capote prise dans la terre gelée qu'il faut arracher à coups de pioche. Et, un jour de printemps, dans cet enfer, une joie inouïe... Dans un taillis, près d'une ferme... des œufs !... Des œufs découverts avec son copain Dumas ! Une brave poule décidée à sauvegarder sa ponte en vue d'une prochaine couvée les avait déposés là, jour après jour, dans un endroit connu d'elle seule.

L'omelette gigantesque qu'ils dégustèrent est restée inoubliable.

Nous parlons peu. Je me retourne de temps en temps pour m'emplir les yeux du spectacle féerique qui s'offre à moi. Un givre ténu habille les toitures, les arbres, les fils électriques, le plus petit buisson, le plus infime brin de mousse. Soudain, devant nous, à nos yeux éblouis, la Margeride s'embrase. Au-dessus de la ligne sinueuse des monts, en un demi-cercle, le soleil surgit, puis l'énorme disque incandescent s'élève dans le ciel teinté de rouge. La nature entière flamboie. Vision fugace que je voudrais fixer à jamais dans ma mémoire. Fascinée, je regarde intensément, ma vue se trouble, je vacille et bute sur un caillou scellé à terre par le gel.

Descendant de ma sphère céleste, je reviens à la réalité. Pas tellement agréable, en vérité !

L'hiver arrive déjà. Il sévira pendant de longs mois.

Et puis, ce matin, sous la pression de ma mère, j'ai dû mettre le coutillou1 en laine écrue qu'elle a tricoté pour moi. Pas très seyant, ce sous-vêtement, même si un léger feston ornemente son encolure et ses emmanchures. Plutôt rêche, la laine pure qui vient de nos moutons ! Sur ce carcan râpeux destiné à braver les intempéries, qui engonce et irrite la peau du dos et des cuisses, j'ai revêtu une robe désuète, un tablier, un tricot, puis j'ai enfilé de grosses chaussettes. Malgré ces épaisseurs, je grelotte. Je bougonne intérieurement, vouant à ce lourd cotillon une rancœur tenace. Une journée qui a mal débuté, en somme. En plus, le verdict de mon père est tombé :

— Nous irons couper du bois avant que le mauvais temps ne s'installe !

Le paysage, magnifique dans son fin manteau blanc, ne parvient pas à me faire oublier la besogne qui m'attend. En Auvergne, les filles ne doivent pas rechigner devant les travaux de ce genre. Il en est d'autres, plus pénibles encore, mais celui-ci me paraît particulièrement détestable.

C'est à regret que j'ai quitté la maison, où de menues occupations m'attendaient : soigner les lapins et les poules, couper des branchettes de frêne sèches pour allumer le feu, tricoter des chaussettes interminables, ou bien, luxe extrême, lire un roman.

La splendeur de cette terre ingrate n'adoucit pas, à mon sens, les rudes tâches hivernales. Je souffre plus de ces petites misères que sont le travail quotidien et les vêtements ternes que de la semi-pauvreté dans laquelle nous vivons et dont je n'ai pas vraiment conscience.

Au détour du chemin, dans un faible murmure, le ruisseau apparaît. Il court à travers les rochers et les blanches herbes alourdies de givre et de glace qui se mirent dans l'eau claire. J'aperçois quelques vairons vifs comme l'éclair ; trop fière ou trop peureuse, la truite ne se montre pas. Nous suivons la rive. Effarouché, un lapin détale. Les corbeaux croassent lugubrement.

Enfin, c'est la parcelle de terrain boisé des Bartasses, délimitée par une simple pierre fichée en terre. Cette portion de terre nous appartient depuis toujours. Des pins squelettiques, de maigres hêtres, des chênes s'agrippent au versant de la vallée. Aujourd'hui, ils ont tous revêtu leur tenue de fête, couleur de nacre.

Déjà, des brins de givre se détachent, le sol devient plus mou, un peu glissant. Il va falloir se mettre à l'œuvre. Attention, petits arbres rabougris, l'un de vous va mourir, tomber sous les coups répétés d'une hache meurtrière ! Papa choisit un chêne, un hêtre, et s'apprête à accomplir son travail de titan.

Vite, autant ne pas s'éterniser ici. L'air affairé, je libère le passe-partout de sa gaine.

Mon père saisit d'abord le manche de la hache, crache dans ses mains, puis, se ravisant pour d'obscures raisons, prend le passe-partout.

Inquiète, je regarde cet instrument malicieux qui résiste à tous mes efforts. Une large lame aux dents acérées, une poignée en bois à chacune de ses deux extrémités. L'utilisation de cette scie en métal trop souple à mon goût et trop rigide aussi, longue d'un mètre cinquante environ, exige une habileté qui me fait défaut.

Papa met un genou à terre. Je m'installe de même, face à lui. Nous appliquons les dents de l'engin sur l'écorce dure de l'arbre. Anxieuse mais déterminée, je m'apprête à répondre au premier mouvement de la scie. Papa tire, je pousse... Il pousse, je tire... Inévitablement, la chose se gondole, refusant de mordre le malheureux chêne. Connaissant la malignité de cette engeance, je fais léger, effleurant juste le tronc rugueux. Peine perdue, elle glisse et patine sur l'écorce encore gelée.

Mon père s'énerve :

— Appuie ! hurle-t-il.

J'appuie trop fort. La scie regimbe et s'incurve en un bel arc mordoré. Puis, revenant à sa rigidité première, elle consent enfin à fendre un peu le tronc tordu et, tant bien que mal, glisse légèrement dans le bois.

Première victoire, la sueur coule, les genoux s'enfoncent dans la terre ramollie. Le dégel est proche. La température s'est radoucie, le vent a tourné ; dans les prochains jours, nous aurons de la neige. Mon père ne manque pas de me dire que ma sœur, elle, tirait la torra comme un homme.

Et voilà ! Notre chêne et notre hêtre gisent au sol, dans un fouillis de branches moussues. Abattus ! Non sans mal. Mon père les émonde à terre et nous viendrons les chercher plus tard, avec la charrette.

Opération réussie. Nous prenons le chemin du retour. Mon estomac s'agite, j'ai faim. La maison sera chaude. Le soleil est déjà haut dans le ciel embué de nuages vaporeux. Midi sonne au clocher de l'église, l'horloge de l'école égrène ses notes aigrelettes...

1. Mot de la langue occitane, dans la langue parlée du côté de Saint-Flour (Cantal). Les mots en italique sont écrits comme ils se prononcent en français, et non selon les règles de l'occitan.

Le village, la maison

Dans notre contrée peu boisée, à 1 000 mètres d'altitude, le vent du nord balaye le vaste plateau de la Planèze. Disposés tout autour, les sommets arrondis semblent n'être là que pour le décor et n'offrent aucune protection aux assauts de cet intrus. Du côté du soleil levant, la Margeride, presque rectiligne, ondule légèrement. Du côté du couchant, le Plomb du Cantal nous ...
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