La ferme de l'enfer, roman
EAN13
9782809800807
ISBN
978-2-8098-0080-7
Éditeur
Archipel
Date de publication
Collection
Terroir
Nombre de pages
329
Dimensions
22,7 x 14,2 x 2,7 cm
Poids
435 g
Langue
français
Code dewey
843
Fiches UNIMARC
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La ferme de l'enfer

roman

De

Archipel

Terroir

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DU MÊME AUTEUR

Mensonges, Borée, 2004.

L'Or des Maures, Lattès, 2002.

Reines de cour, dames de cœur, Le Pré aux Clercs, 2002.

Terre de sang, Plon, 2001.

Le Bâtard et la Colombe, Plon, 2000.

Le Pont de l'Aigle, Lattès, 2000.

Jusqu'à la mer, Seuil, 2000 (prix Chronos 2001).

La Malédiction de Bellary, Plon, 1999.

Le Voyage de ma mère, Plon, 1998.

La Vieille Dame et l'Enfant, France Loisirs, 1997.

La Dame blanche, Plon, 1996.

Le Pré aux corbeaux, Plon, 1995.

Nuremberg 46, Gallimard, 1995.

Le Retour de Jean, La Table Ronde, 1992.

De l'autre côté de la rivière, Balland, 1990.

La Gitane de Formentera, Ramsay, 1989.

La Rumeur du soir, Balland, 1988.

La Druzina, Balland, 1987.

La Dénonciation, Balland, 1986.

La Ferme d'en bas, Balland, 1985.

www.editionsarchipel.com

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eISBN 978-2-8098-1109-4

Copyright © L'Archipel, 2008.

1

Le champ de blé était bordé au nord par le chemin reliant le domaine de la Vernières à celui de la Tuilerie, et au nord-est par la nationale menant de la Charité à Châteauneuf.

Les épis ondoyaient sous la brise. En ce début d'après-midi, le soleil était brûlant. Un léger voile brumeux flottait au-dessus de cette étendue mouvante.

Au loin, près des barbelés séparant le champ d'un pré de pâture, des hommes, torse nu, suivaient la moissonneuse. Au rythme des gerbes ficelées jaillissant du plateau, ils érigeaient des meules en enfilade pour faciliter le travail de l'équipe suivante chargée de remplir les charrettes.

Les chevaux, harassés par la touffeur, halaient leur charge d'un pas rageur, le cou tendu, la tête basse, les naseaux frémissants. À grands coups de queue, ils fouettaient leurs flancs luisants de sueur pour en chasser les insectes.

Emma plongea son pinceau dans le gobelet d'eau, disposé à l'extrémité de la rainure du chevalet, puis s'essuya les mains sur sa blouse.

Quittant son siège, elle prit un léger recul et apprécia ce qu'elle venait de peindre. Si les nuances de couleur lui paraissaient satisfaisantes, le tout manquait d'animation. Elle ne retrouvait pas sur la toile la tension des ouvriers et des bêtes, qui constituait la beauté unique, quasi magique de cet instant. Elle n'avait pas su traduire cette violence – c'en était une, de son point de vue – qui opposait la terre et les hommes, ces derniers devant quasiment lui arracher leur subsistance.

Elle recula encore d'un pas. Les imperfections étaient si nombreuses qu'elle préféra s'interrompre et quitta sa blouse.

Couverte d'un simple chemisier en coton très fin, elle frémit sous le souffle d'air rafraîchi par l'ombre du chêne. Les pointes de ses seins durcirent, lui procurant un frisson plutôt agréable.

Mieux valait rejoindre les hommes, se dit-elle, et leur donner un coup de main. Redoutant un possible orage, ils seraient sans doute ravis de son aide.

Elle éveilla Noiraude, la chienne à troupeau qui dormait à ses pieds, puis, ayant enfilé ses sabots et s'étant coiffée d'un chapeau de paille, elle se dirigea vers les ouvriers en longeant la clôture barbelée.

Noiraude tourna autour d'elle en aboyant et piqua une course, truffe au sol, avant de revenir à la même allure. Devant Emma, elle se dressa sur ses pattes, en quête d'une caresse.

— Toujours aussi folle, hein, ma chienne ? murmura la jeune fille en caressant l'épais pelage de jais.

La chienne jappa, agitant frénétiquement la queue, puis se jeta sur le côté avant de repartir en courant.

Emma la regarda s'éloigner. L'émotion lui étreignit la gorge. Comme elle l'aimait, cette bâtarde ! Elle regrettait de lui avoir donné un tel nom, mais il s'était imposé quand elle avait découvert l'autre chiot de la portée, mort étouffé. Dans sa tête d'enfant, la survivante ne pouvait être que coupable !

S'approchant des hommes, son regard accrocha celui de Louis. Torse nu, luisant de sueur, il fourchait les gerbes pour les hisser dans la charrette, où Hippolyte, le père d'Emma, les disposait méthodiquement.

Elle et Louis échangèrent un sourire, empli de leur nuit précédente, mais Emma passa devant lui sans s'arr êter. Elle n'y tenait pas, trop incertaine de contenir son désir de l'embrasser... Elle refusait d'offrir ce spectacle au regard des saisonniers, qui ne manqueraient pas alors de ricaner.

Elle rejoignit Émile, son grand-père, qui conduisait la moissonneuse. Assis, il manœuvrait les rênes, tempêtant après ses deux chevaux de trait harcelés par les mouches.

D'un saut, elle gagna la plateforme et enlaça le cou d'Émile pour garder son équilibre.

— Alors, la petiote ! Fini de peindre ? demanda-t-il.

Après avoir caressé sa tignasse blanche – il avait toujours porté les cheveux un peu longs –, elle l'embrassa et sauta sur le bas-côté, s'écorchant les chevilles sur les chaumes.

— Je vais rester derrière et donner un coup de main aux hommes ! cria-t-elle pour couvrir le vacarme des cisailles.

Acquiesçant d'un hochement de tête, Émile reprit ses gueulantes.

Elle l'observa un moment, admirative. Malgré ses soixante ans, l'homme portait encore beau. Pas très grand, musclé, les épaules larges, bien campé sur ses jambes, il impressionnait toujours ses interlocuteurs, tant on le sentait enraciné dans sa terre, « sa femelle », ainsi qu'il la désignait. À cela s'ajoutait sa façon effront ée de dévisager son vis-à-vis, son regard noir plongé dans celui de l'autre, comme s'il s'apprêtait à fouiller les recoins les plus intimes de sa conscience.

De mémoire, Emma n'avait jamais vu homme lui tenir tête... Quant aux femmes, sans en avoir jamais connu aucune, pas même sa grand-mère, aujourd'hui décédée, elle supposait qu'elles ne devaient pas résister longtemps à son charme.

— Hé ! Emma ! À quoi tu rêves ?

La jeune femme abandonna ses pensées. Son père la hélait du haut de la charrette.

— Va nous chercher un peu de vin frais, on n'a plus rien à se mettre dans le gosier !

— J'y vais !

Suivie de la chienne, Emma se dirigea vers l'extrémit é du champ. Elle en profita pour remballer son matériel de peinture, puis, son attirail sous le bras, prit le chemin de la ferme.

Celui-ci serpentait entre deux alignements de chênes bordés d'une haie touffue. Après une centaine de mètres, Emma s'arrêta, les pieds endoloris d'avoir foulé le sol creusé d'ornières et durci par le soleil. Elle prêta l'oreille au frémissement des feuilles qu'agitait un léger souffle de vent chaud. Une soudaine angoisse la saisit, comme si ce bruissement annonçait une mauvaise nouvelle. Elle haussa les épaules.

— Tu ferais bien de ne plus lire les histoires de l'almanach..., marmonna-t-elle en reprenant sa marche.

Elle s'en voulait d'être si sensible et imaginative, une vraie maladie ! Gamine, déjà, elle croyait pouvoir déchiffrer le langage de la nature, le sens des nuages ou encore interpréter de prétendus signes. Combien de fois, à l'écoute du vent ou de la pluie, n'avait-elle pas « entendu » un événement s'annoncer, heureux ou non ? Évidemment, cela n'arrivait jamais comme elle l'avait prévu. La preuve : elle n'avait pas su prévoir le départ de Jeanne, sa mère, trois ans plus tôt.

Le souvenir de cette maudite journée s'imposa avec une telle violence qu'elle ne put retenir ses larmes. Mon Dieu, comme cela faisait encore mal ! Suffoquée par la douleur, elle s'assit alors dans l'herbe, caressant la chienne venue se blottir contre elle.

— Ce n'est rien..., murmura Emma sans en croire un mot.

Ce n'était pas rien, non. C'était même toute sa souffrance, toute sa haine de la vie, toute sa rancœur envers Dieu, si ingrat, et envers ce monde si imparfait !

Pourquoi avait-il fallu qu'elle s'en aille ainsi, un beau matin de février 1932, sans rien dire, pas même à sa propre fille ? Qu'elle n'eût rien annoncé à Hippolyte pouvait encore se comprendre : c'était son mari, et sans doute avait-elle de bonnes raisons de le fuir. Mais à elle, sa fille, pourquoi n'avoir rien expliqué, ne serait-ce que par un mot glissé sous son oreiller ? La veille, pour...
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