France M.

6,40
Conseillé par (Libraire)
22 octobre 2022

À Woodleigh Common, petit village proche de Londres, une fête pour enfants est organisée à l’occasion d’Halloween. Pendant les préparatifs, la jeune Joyce se vante d’avoir un jour assisté à un vrai crime. Quelques heures plus tard, elle est retrouvée noyée dans une bassine. Mrs Oliver, autrice à succès demande alors à son vieil ami Hercule Poirot de se rendre sur les lieux pour mener l’enquête.

Jusqu’à maintenant, nous vous avons surtout parlé de livres récents. Le crime d’Halloween (autrefois connu sous le titre La fête du potiron), sorti pour la première fois en anglais en 1969, est loin d’en faire partie. Pourtant, quelle meilleure période qu’Halloween pour se replonger dans ce que l’on appelle désormais un bon vieux cozy mystery ? Le genre, remis au goût du jour avec de récents succès – notamment celui de MC Beaton et sa collection Agatha Raisin – se différencie des thrillers actuels par une ambiance plus légère (pas de flaques de sang ici, et on n’assiste pas souvent au meurtre) et un humour très british. Agatha Christie, avec entre autres Miss Marple et Hercule Poirot, en est une figure emblématique.
Ici donc, pas d’hémoglobine, pas de détails sordides. Le livre est surtout porté par une sacrée ambiance (un village isolé et bucolique) et des personnages bien marqués. Force est de constater qu’Agatha Christie excelle dans la création de personnages si caractéristiques que, malgré leur nombre, à aucun moment on ne les confond lors de leurs diverses apparitions ou évocations. Et c’est une sacrée galerie à laquelle on a droit, entre l’autrice de romans à succès, la veuve richissime qui cherche à garder le contrôle sur tout ce petit monde, l’artiste jardinier… Évidemment, tout ce petit monde a son lot de secrets plus ou moins anciens, qu’Hercule Poirot exhumera les uns après les autres afin d’essayer de les relier entre eux.
Le style d’Agatha Christie est également très reposant. Ici, pas de fioritures : les chapitres sont courts, les interrogatoires et les réflexions du détective se succèdent, tout s’enchaîne sans accrocs et sans lassitude. Le livre se boucle après quelques heures que l’on aura passé à soupçonner la plupart des personnages tour à tour avant d’être, comme toujours avec Agatha Christie, étonné par la fin.
Malgré le temps qui passe, c’est toujours un plaisir de (re)découvrir un Agatha Christie, et la saison se prête parfaitement à cet épisode.

Monsieur Toussaint Louverture

29,50
Conseillé par (Libraire)
14 octobre 2022

Monsieur Toussaint Louverture est une maison d’édition qui fait beaucoup parler d’elle de par la qualité de ses ouvrages – on citera notamment ces derniers temps la série Anne Shirley, ainsi que Blackwater, gros succès de l’été. Pour cette rentrée littéraire, l’éditeur nous offre une réédition de La maison des feuilles1. Et c’est un livre qui ne peut se résumer uniquement par son intrigue de fond.

Pour le fond : un couple et leurs deux enfants emménagent dans une maison en Virginie. Très vite, des choses étranges se passent : un placard apparaît là où il n’y avait rien – placard qui, une fois prises ses mesures intérieures et extérieures, s’avère plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur ; un mur se déplace ; un couloir entier apparaît de nulle part. Navidson, le père, explore brièvement le couloir et réalise qu’il n’est que l’entrée d’un gigantesque labyrinthe dont la forme change constamment et où se fait parfois entendre un grognement. Il demande bientôt à une équipe d’explorateurs de s’enfoncer dans le labyrinthe.

Pour la forme : Navidson est photographe professionnel. À l’emménagement, il a posé des caméras dans la maison, espérant monter un film sur la façon dont les gens investissent un espace. Il prendra également une caméra avec lui lors de sa première exploration, et en fournira à l’équipe d’explorateurs. Lorsque l’histoire se termine, ces différentes images seront montées en film, appelé « Le Navidson record ».
Ce film va être visionné par un homme qui n’a rien à voir avec la famille, Zampanò. Obsédé par cette histoire, il va l’analyser, la disséquer, aller chercher diverses sources, certaines directement liées à l’histoire, d’autres plus générales mais susceptibles d’aider à trouver un sens à l’histoire (à titre d’exemple, les références à la mythologie, et bien sûr au Minotaure, sont légions). Zampanò aime les longues analyses. Zampanò aime BEAUCOUP les notes de bas de page, et les listes.
En réalité, Zampanò meurt au début de l’histoire. Tous ses papiers à propos du Navidson record sont alors trouvés par Johnny, un jeune homme qui va décortiquer ce texte. Johnny aime aussi les notes de bas de page. Ses notes ont toutefois la particularité de parler beaucoup de sa propre vie, où on le voit sombrer peu à peu dans la démence. C’est le résultat combiné du texte de Zampanò et de Johnny que nous lisons dans La maison des feuilles.

Le texte est dès lors très inhabituel dans sa forme ; ce n’est pas un roman que nous lisons, mais un essai. Un essai bourré de notes de bas de page. Il y a des notes de bas de page dans les notes de bas de page. Et d’autres dans les notes de notes de bas de page. La typographie est d’ailleurs différente selon l’auteur de la note en question.
De plus, le texte n’est pas uniforme : tantôt essai « classique », tantôt transcription de vidéo, lettre, interview, et même partition de musique. Le lecteur est aussi constamment ramené au fait que le manuscrit de Zampanò a été découvert : il est souvent précisé qu’il manque une page, que telle partie est illisible, qu’une autre a été rayée, brûlée, couverte de goudron. Et la mise en page change également, devenant de plus en plus chaotique au fur et à mesure de l’avancée de l’équipe dans le labyrinthe, obligeant même parfois à tourner le livre dans un sens différent à chaque page abordée.
C’est donc une expérience de lecture toute particulière qui s’offre à celui qui ouvre le livre : le renvoi constant à des notes, sous notes et sous-sous notes de bas de page perd littéralement lecteur (oui, comme dans un labyrinthe). Les longs apartés de Johnny créent parfois un sentiment de frustration (comme dans un labyrinthe, non ?) lorsqu’ils interviennent aux moments cruciaux que vit l’équipe d’exploration du labyrinthe. L’intrigue porte sur un labyrinthe, gigantesque et changeant ; le livre, dans sa forme même, s’en fait le reflet.

La maison des feuilles est une lecture inédite, particulière, troublante, mais aussi brillante. Le lecteur est constamment réquisitionné, mais aussi manipulé (énormément de références de livres, interviews et essais sont fausses, cela étant annoncé dès le début. Libre à vous d’avoir le courage de tout vérifier !). On adhère ou pas, mais indubitablement, la lecture de La maison des feuilles est une expérience qui n’arrive pas souvent dans la vie d’un lecteur.

1Qui était déjà sorti chez Denoël en 2002², mais était épuisé depuis.
2 La réédition de 2013 chez ce même éditeur était également épuisée.³
3 Oui, ces notes de bas de page sont principalement là pour vous mettre dans l'ambiance.

16,50
Conseillé par (Libraire)
6 octobre 2022

Suzanne, une streameuse, quitte le domicile familial pour fuir son père. Saskia, apprentie artiste, est admise aux Beaux-arts de Paris et fait face au mépris paternaliste d’un célèbre galeriste. Anne-Lise, fille de bonne famille, se sent en décalage total avec sa famille et les autres élèves de son lycée. Toutes trois vont se retrouver à habiter sous les combles d’un même immeuble parisien, et des phénomènes inexpliqués vont commencer à se produire : un personnage étrange apparaît dans le jeu vidéo auquel joue Suzanne, Saskia est poursuivie par le spectre d’une vielle femme, Anne-Lise entend un choeur fantomatique de voix de femmes.

Les errantes a d'abord l'allure d'un simple roman d’épouvante à destination des adolescents : apparitions inexpliquées, visions, séance de ouija qui tourne mal, portes qui claquent ; on peut lui reprocher de mettre en scène les classiques un peu érodés du genre. Ce serait néanmoins passer à côté du message du roman qui va plus loin qu’une simple chasse aux fantômes. Si les entités qui hantent nos trois héroïnes sont toutes des femmes, ce n’est pas un hasard, et cela permet à l’autrice de brosser un portrait (historique et véridique) de femmes dont on condamnait les actes, les paroles, ou la production artistique dans un monde majoritairement dominé par les hommes. La façon dont ont été traitées nos trois personnages principaux fera d’ailleurs écho au même thème. Ensemble, elles tenteront donc de faire face à leurs peurs, de comprendre ce qui leur arrive, et naîtra une belle amitié entre ces trois jeunes femmes pourtant si différentes.

S’il part d’une situation initiale somme toute classique pour qui connaît un peu les codes de l’épouvante, le roman de Jo Witek va donc plus loin ; c’est une belle histoire d’amitié, de femmes, avec une fin très émouvante. Un très bon roman ado.

Conseillé par (Libraire)
22 septembre 2022

Sakura, 8 ans, vit à Tokyo avec son papa français. Trois ans auparavant, elle a perdu sa maman japonaise et éprouve des difficultés à surmonter ce deuil. Son père devant s’absenter pour un voyage d’affaires, elle se retrouve à passer quelques semaines chez sa grand-mère maternelle, au cœur de la campagne japonaise. D’abord désorientée par cette culture qu’elle connaît finalement assez peu, Sakura va finalement être profondément transformée par ce séjour.

Le printemps de Sakura est un album qui rappellera au lecteur certains albums de Taniguchi. Sakura y découvre le rythme simple de la vie à la campagne, et le voyage est très sensoriel : les odeurs de la mer et du jardin, les cerisiers en fleurs, la pêche aux coquillages, la cuisine… Masumi, sa grand-mère, lui fera également découvrir les traditions japonaises, lui parlera des esprits qui peuplent l’imaginaire japonais… Sakura, en pleine perte de repères quant à son identité (elle ne parle pas bien japonais, subit de la discrimination à son école de Tôkyô), va ainsi explorer un peu plus ses origines.

C’est également l’occasion de tenter d’accepter la mort de sa mère, en découvrant l’endroit où elle a grandi et en faisant connaissance avec la personne qui l’a élevée.
Le printemps de Sakura est un album très doux, souvent contemplatif, cette ambiance étant amplifiée par le choix des dessins à l’aquarelle. Un très joli moment de lecture.

Conseillé par (Libraire)
15 septembre 2022

Voilà des siècles, les robots de Panga ont accédé à la conscience et sont partis vivre loin des hommes, qui ne les ont plus jamais revus.
Dex est moine de thé. Son rôle est de voyager, avec sa roulotte, de villages en villages, afin de proposer à tous ceux qui en ont besoin une tasse de thé, une oreille attentive, quelques instants de repos. C’est au milieu de cette routine qu’un malaise va se faire sentir quant au sens de sa vie, l’amenant à s’enfoncer dans une forêt laissée au bon vouloir de la nature. Là, c’est la rencontre avec Omphale, un robot venu prendre des nouvelles de l’humanité. Les robots ont une question à poser : « De quoi les humains ont-ils besoin ? »

Becky Chambers est réputée pour ses récits qui, loin de la morosité typique du genre, est très positive, bienveillante et tournée vers l’humain. Un psaume pour les recyclés sauvages ne fait pas exception à la règle — ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la traditionnelle dédicace en début de livre est remplacée par la simple phrase « Pour vous qui avez besoin de souffler ». Cette novella est en effet une véritable bouffée d’air frais.

L’environnement de Panga a quelque chose de très apaisant. Si elle a clairement été industrialisée à une époque, les ruines de ce passé ont depuis été recouvertes par la végétation et des zones entières laissées au bon vouloir de la nature. On a clairement affaire ici à un peuple qui a su s’arrêter avant le point de non-retour et opérer, avec succès, un retour à la nature.
Dex étant moine, les considérations théologiques sont évidemment présentes dans le roman. Pourtant, elles sont loin d’être un sujet de tension dans l’univers du livre, tout comme d’autres sujets pourtant clivants dans tant d’autres romans : Becky Chambers nous montre une société en paix avec elle-même, et c’est terriblement rafraîchissant.

Il ne faut donc pas s’attendre à un livre basé sur l’action : bien que Dex poursuit une quête personnelle — et clairement initiatique — ce sont surtout les dialogues qui font avancer l’histoire, ceux entre Dex, moine un peu perdu, et Omphale, robot peu au fait des coutumes humaines et dont l’attitude détonne donc : les réflexions sur le sens de la vie, sur le rapport à la nature, sur la nature de l’être humain, et aussi sur l’importance de « se laisser vivre » sans toujours chercher à justifier son existence. « Je n’ai pas de but, pas davantage qu’une souris, une limace ou une ronce. » dit un jour Omphale à Dex. « Pourquoi, toi, tu aurais besoin d’en avoir un pour te sentir en paix avec toi-même ? ».

Un psaume pour les recyclés sauvages est une lecture dont on ressort apaisé, sentiment assez rare dans le milieu éditorial actuel. À noter que le livre a reçu cette année le très prestigieux prix Hugo dans la catégorie roman court, ce qui est à mes yeux largement mérité.