La fille surexposée

Valentine Goby

Alma Éditeur

  • Conseillé par
    18 mars 2014

    Photo violée

    Au commencement, une méprise. Celle de Valentine Goby, précisément. Sur les murs d’une galerie de Rabat, elle regarde une photographie. Un portrait de jeune fille en noir et blanc,  datant de 1924, mais saccagé par le peintre, bariolé de couleurs vives et éclatantes, de croix blanches et de peinture rouge. La femme est nue, sa peau, translucide. C’est elle, « La fille surexposée », que nous voyons sur la couverture du livre : une ancienne prostituée du quartier réservé du Bousbir, un bordel légal de Casablanca, qui a fermé en 1956. Tout de suite, Valentine Goby voit de la censure dans le geste du peintre. Mais elle se trompe ; en exhumant ce corps et en lacérant cette photographie, Miloudi Nouiga a voulu attirer l’attention. Pour qu’on n’oublie pas. Ce geste, qui dénonce à la fois le passé colonial et la domination des islamistes d’aujourd’hui, n’est ni un projet esthétique, ni une condamnation. Mais bien une révolte.

    En cherchant à rendre compte de son erreur, l’auteure construit son récit autour du voyage de cette même photographie. Le récit nous renvoie en juin 1924, date de prise de vue, dans un studio. La fille, à peine pubère, pose mais regarde ailleurs. Le photographe écrira la légende au dos de la carte : « Femme mauresque- Khadidja la Marocaine ». Le début d’une tromperie. En dévoilant la révolte du peintre contre le désir, contre l’illusion et le fantasme, contre le mensonge, aussi, Valentine Goby entraîne le lecteur dans un voyage géographique et temporel, qui prend sa source au début de siècle à Casablanca, terrain de jeux des enfants, fixant parfois furtivement l’entrée de la forteresse interdite du Bousbir. S’inspirant de sa propre expérience, l’auteure pose la question de l’orientalisme, dans un texte court, violent, intense. Encore une fois, elle se passionne pour le corps féminin, ici esclave enfermé, cinglé de clichés insupportables, et en dénonce sa négation. La mise en scène doit coller aux désirs de ces hommes de l’autre côté de la mer : c’est l’exotisme, fantasmé par des voyeurs qui, en achetant ces cartes postales et les envoyant à des proches, violent en pensée ces femmes contraintes. Par son expédition, la photographie déracine le corps de la femme et dit oui à la violence.

    Initialement fantasmées, ces rares traces de la prostitution marocaine dégoutent et font honte aujourd’hui. De cette fille surexposée, on ne sait rien, pas même son nom. Dans une langue poétique, presque sensuelle, Valentine Goby a imaginé ce que les yeux de la jeune femme regardent, perdus au loin. En racontant l’histoire de cette femme-objet, elle lui redonne une identité, et c’est sans doute le moyen le plus juste pour faire jaillir ce cri de révolte.

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