Brel, la valse à mille revers, la valse à mille rêves
EAN13
9782809800869
ISBN
978-2-8098-0086-9
Éditeur
Archipel
Date de publication
Collection
ARTS ET SPECTAC
Nombre de pages
600
Dimensions
22,5 x 14 cm
Poids
1154 g
Langue
français
Code dewey
782.421
Fiches UNIMARC
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Brel, la valse à mille revers

la valse à mille rêves

De

Archipel

Arts Et Spectac

Indisponible
DU MÊME AUTEUR

Brel à Bruxelles, Le Roseau Vert, 2002 (Belgique).

www.editionsarchipel.com

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eISBN 978-2-8098-1113-1

Copyright © L'Archipel, 2008.

Préface

Jacques Brel, sans conteste, fut le plus grand chanteur du siècle.

Sur scène, il émanait de lui une émotion d'une intensité que je n'ai jamais plus connue. Chaque fois que j'ai assisté à l'un de ses tours de chant, sur une scène parisienne ou en tournée, cela a été un choc. J'ai reçu un coup de poing dans l'estomac. Brel, champion du monde du K.-O. toutes catégories ! C'était il y a plus de quarante ans : je m'en souviens comme d'hier. Le soir où je l'ai entendu créer « Amsterdam », à l'Olympia, en 1964, est figé dans ma mémoire. J'avais vingt et un ans, je faisais mes débuts à L'Écluse, le cabaret du quai des Grands-Augustins où je passais en lever de torchon de Barbara. J'avais dit au patron, Léo Noël, que je serais absent ce soir-là ; je voulais voir Brel dans son nouveau récital.

À l'entrée de l'Olympia, on vendait des bonbons. La chanson du même nom était sur toutes les lèvres. Ce qui s'est passé ce soir-là est inouï. Sur scène se déroulait un combat de boxe. Un seul protagoniste : le chanteur, ruisselant face à un public ivre. Il avait commencé par « Le Dernier Repas » – ce qu'on appelle une chanson de présentation. Puis, une chanson nouvelle, « Les Jardins du casino ». Gentille, sans prétention. Quand il a interprété « Amsterdam », il y a eu une déflagration. Le mot « tonnerre d'applaudissements » rend mal compte de ce qui s'est passé à ce moment-là. On avait l'impression que c'était la fin du spectacle. On n'en était qu'à la troisième chanson. Il n'a pas pu arrêter le public. La suite ? Brel a été porté par les vivats pendant deux heures. À la fin, il a refusé de bisser « Amsterdam ». Il est parti. Sans rappel. Il avait horreur des rappels.

Brel était doté d'un physique hors du commun. On aurait dit un fil de fer. Il avait des bras immenses, comme des projecteurs, des mandibules dotées d'une vie propre, autonome. Cet homme, qui a passé le début de sa carrière rivé à sa guitare, a été comme libéré lorsqu'il a compris qu'il pouvait la poser à terre. Il a du reste incarné un Don Quichotte plus vrai que nature dans L'Homme de la Mancha.

La force intérieure qu'avait Piaf, Brel l'avait aussi. Mais alors qu'il suffisait à Piaf de deux gestes pour faire vivre une chanson, Brel remplissait l'espace avec ses bras, son regard transper çant la foule. Son récital ? On aurait dit un chemin de croix, une montée au Golgotha qui n'en finissait pas. Brel se déchirait sur scène avec ses gestes écartelés, cet art de catapulter chaque syllabe, pour qu'elle traverse la salle et qu'aucun son ne se perde. Il « surprononçait » les paroles de ses chansons. Il lançait les mots comme on jette des pierres.

Il y avait comme un plaisir masochiste en lui, confinant à l'autodestruction. D'une certaine façon, il est l'héritier des interpr ètes de chansons de marin. L'énergie de Brel était celle du désespoir. Il brûlait ses textes. Les spectateurs le voyaient se consumer. Il a porté l'autodestruction très loin : à la fin du tour de chant, il n'avait plus de sueur.

Si Brassens a été le maître, l'orfèvre des mots, Brel est celui qui a compris qu'il fallait penser à l'interprète, lui « donner à manger ». Ses textes sont peut-être moins écrits, moins ciselés, mais ils laissent de l'espace à la confidence, ils permettent une respiration, un commentaire entre deux titres. Aujourd'hui il semble indémodable. Ses musiques se prêtent même au rock.

Brel a marqué ma vie. Il a été un inspirateur exceptionnel. Je suis la synthèse de tous ces gens que j'ai admirés : Brel, Brassens, Aznavour. On ne peut pas être plus fou que je l'ai été de Brel, de 1958 à ses adieux à la scène, en 1967. Et pourtant, la seule fois où nous nous sommes croisés – il était venu au Don Camillo, où je me produisais en 1968 –, je ne suis parvenu à articuler que quelques mots. D'une extrême banalité. J'aurais voulu lui dire tant de choses. En lisant le récit de sa vie, l'enquête menée par Eddy Przybylski auprès de ceux qui l'ont connu, je prends conscience de l'infinie complexité de cet homme, de sa noblesse de caractère, de sa générosité, de ses paradoxes. Cet homme qui nous a tant marqués. Cet homme qui nous a parfois irrités par sa misogynie outrancière. Cet homme qui, n'ayant pas assez d'une vie, a voulu être tout à la fois chanteur, acteur, cinéaste, pilote d'avion, père, mari, amant. Des rôles qu'il a tenus tour à tour avec la même ferveur. Du talent? Du génie ! Dans le cas de Brel, ce mot n'est pas usurpé. Brel nous manque, mais il nous a beaucoup appris. Et ses chansons sont là, toujours présentes, vivantes, qui nous parlent de lui.

Serge LAMA

I

C'ÉTAIT AU TEMPS OÙ BRUXELLES...

1

LE FILS DES BREL

Jacky, le fils des Brel, a quatorze ans. À l'école, ça ne va pas du tout. Pourtant, certains professeurs l'apprécient. Ce garçon déborde de vie et d'imagination. On se délecte de ses trouvailles qu'officiellement on ne peut pas toujours approuver. Mais voilà! C'est le type de gosse à qui... on pardonne tout.

Chez les scouts aussi, il est la vedette. Sans cesse en spectacle! Il est celui qui fait rire. Pour la première fois, son frère et lui viennent de séjourner dans un camp ensemble. Pierre n'en revient pas. En rentrant, il dit à ses parents : « Vous devriez le voir, c'est un Jacky que l'on ne connaît pas ! »

Dans sa maison, rue Jacques-Manne, à Anderlecht, Jacky n'est pas le même garçon. Sauf, peut-être, quand il est seul avec sa mère et qu'ils se livrent à des jeux théâtraux. Pierrot, qui fut l'idole de sa jeunesse, frôle les vingt ans et, bientôt, il n'est plus là. Restent un père et une mère. Jacky les observe.

Jacky sait que l'enfance n'a qu'un temps, que la sienne est en train de foutre le camp, qu'il fait, petit à petit, son entrée dans le monde des adultes. Ce monde-là, il est occupé à le découvrir à travers l'unique modèle qui s'offre à lui : ses parents. « Je ne me souviens pas avoir vu mon père rire. Il ne m'a jamais parlé non plus. » Ces mots de souffrance, Jacques Brel les a confiés à Maddly, sa dernière compagne, qui les a rapportés1. Il n'est pas question de mettre en doute la sincérité de Maddly, mais l'objectivité de Brel, toujours infiniment trop cruel, jusqu'à l'évidente injustice, dès qu'il parle de son enfance. Juste ou injuste, cela n'importe pas. Il se trompe peut-être, mais il est sincère. Ses mots lourds, ses mots excessifs traduisent une blessure qui, elle, est incontestable et réelle. « Pour moi, l'enfance, c'est un ciel bas, c'est gris, et il y a des adultes que je ne comprends pas. »

Le père a soixante ans. En 1943, on est vieux à cet âge. Il est vieux, mais il a réussi. Directeur d'une usine, une grosse cartonnerie, qui, avant le début de la guerre, fournissait du travail à plusieurs centaines de personnes. Il est singulier de constater à quel point le regard des deux fils sur ce même père est différent. Pierrot se délecte lorsque le père raconte ses souvenirs du Congo où, avant leur naissance, avant de rencontrer la mère, il a vécu une existence d'aventurier. Ces récits, Jacky ne les entend pas. À Maddly, il dira : « Tu as entendu mon frère me parler du père? “Le père disait... Le père disait...” Moi, ça ne m'évoque rien2... » Jacky voit un autre personnage. Un bourgeois, toujours habillé de propre lorsque chaque matin, à la même heure, il quitte, avec les mêmes gestes et les mêmes mots, la maison dans laquelle il reviendra au même moment. De ses journées à la cartonnerie, le père ne parle jamais. Comme si sa vraie vie appartenait désormais à son passé. « À douze ans, je savais que je ne pourrais jamais supporter d'être comme eux. [...] Et je me suis battu toute ma vie pour ne pas leur ressembler3... »

Jacky en veut à son père. « Les adultes sont déserteurs4. » Il lui en veut même trop, exagère à son sujet, invent...
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