Eric R.

23 magistrats, 48 greffiers, 3 directrices de greffes... la balance, le glaive et les fourmis : 23 magistrats, 48 greffiers, 3 directrices de greffes... et 35.682 dossiers en attente

Futuropolis

22,00
Conseillé par (Libraire)
20 janvier 2021

Equilibre

Dans une vague éditoriale en vogue d'enquête en immersion, « La Balance, le Glaive et les Fourmis » trouve naturellement sa place. Jean-Luc Loyer et Xavier Betaucourt, ont investi pendant un an les étages du tribunal d’Angoulême. Rencontres, visites sont retracées dans cette BD vivante, désespérante parfois mais aussi gaie et joyeuse.

La situation de la justice française est connue depuis de nombreuses années avec ce constat implacable: un budget moyen par habitant qui lui est consacré inférieur à celui de la Géorgie ou de l’Azerbaïdjan. Ces insuffisances de moyens traversent comme un fil rouge tout l’ouvrage et marquent le travail de chaque intervenant quand il fait 12 degrés dans les bureaux en raison d‘un chauffage défaillant ou lorsque l’on utilise les sommes versées par des tournages de films dans les locaux du Palais pour acheter une table capable de supporter les pièces à convictions lors d’un procès. Ces défaillances sont illustrées ici par les difficultés concrètes des personnels à faire correctement leur travail, elles paraissent encore plus insupportables et navrantes. Voire affligeantes.

Les auteurs pour autant ne se contentent pas d’énumérer ces manquements qui font les beaux jours de pseudo reportages télévisés aux accroches tapageuses. Gardant cette situation en toile de fond, ils s’attachent à l’essentiel, aux femmes et aux hommes qui préparent, encadrent, rendent la justice. Femmes de ménage, gendarmes, greffiers, procureur, président, avocats et tant d’autres parlent, racontent leur amour de leur métier, leurs difficultés, leurs joies, leurs satisfactions. Parfois autour d’un verre de vin, parfois sur un court de tennis.

Tous se posent la question de leur utilité, de leur impartialité. Deux ans après l’obtention du concours de directeur de greffe la moitié des lauréats demande à être mutée dans les autres administrations. Ce n’est pas un portrait à charge de l’institution qui nous est proposé car les difficultés mises en avant montrent encore avec plus de force la détermination, le courage, la conscience professionnelle de femmes et d’hommes et amoureux de leur métier, conscients de l’importance de la mission sociale qui leur est confiée, qu’ils veulent simplement réaliser de la manière la plus …. juste possible. Le sport comme échappatoire, les relations entre collègues, dont les difficultés ne sont pas cachées, encadrent cette vie où beaucoup ne comptent pas leurs heures. On comprend la solidité personnelle nécessaire d’un juge pour enfant dont les décisions peuvent impacter la vie entière d’un adolescent. On partage les hiérarchies écrites ou non entre les différentes catégories de personnel, leur mépris parfois montré au détour d’une phrase près de la machine à café. Mais on rit aussi des caricatures de quelques fonctionnaires figés dans leurs habitudes, leur tranquillité et l‘attente de leur retraite, préoccupés avant tout d’une bonne agrafeuse. Remarquablement agencés dans un récit enlevé, tous ces petits moments de vie saisis par un dessin efficace en disent beaucoup sur l’institution.

Les auteurs donnent ainsi vitalité, réalisme à leur expérience riche et documentée. Ils réalisent un album à lire avec bonheur, comme une BD. Pas comme un texte illustré. Une Bd à poser sur le bureau. Au dessus de la pile. Pas en dessous comme les 35 682 dossiers qui attendent au tribunal d’Angoulême.

Conseillé par (Libraire)
18 janvier 2021

Introspection

« Depuis Priez pour nous tous mes romans s’emboitent, ou plutôt s’empilent, mais pas n’importe comment, comme les marches d‘un escalier, de sorte que si je ne publie pas celui-ci, si je saute une marche, la suivante ne pourra pas tenir ». Cela fait trente ans que Lionel Duroy superpose comme il l’écrit les récits de son enfance, de son existence comme un chirurgien de son âme. Le stylo est son scalpel. Les phrases sont les baumes réparateurs car pour l’écrivain cycliste sans écriture, pas de vie. On l’avait quitté avec son dernier ouvrage "Nous étions nés pour être heureux", réconcilié avec sa famille, ses proches, renouant des liens brisés par la parution de ses textes autobiographiques. On avait le sentiment d’un repos bien mérité, celui des souffrances atténuées par l’âge venant, par la sagesse. Très vite en ouvrant « L’homme qui tremble » on découvre qu’il n’en est rien. Lionel Duroy reprend tout depuis le début, depuis ce premier octobre 1949 à Bizerte, date de sa naissance, né de « Christine Vergez et Albert Duroy de Suduiraut dit Toto ». On se dit que l’on connait l’histoire, que l’écrivain ne peut que se répéter même si il ne se dissimule plus cette fois-ci derrière le nom d’Augustin.

Tout est pareil mais tout est différent. Pareil cette nécessité pour naître une deuxième fois, d’écrire, d’écrire encore et toujours, pour combler un vide, ou vider au contraire le trop plein de désamour, de folie. Pareil le leitmotiv de la terrible « tristesse d’exister », celle qui fait quitter le lit conjugal en pleine nuit sous l’effet d‘angoisses existentielles, cette panique de dormir à côté d’un corps de femme. Pareil le vide sidéral d’une existence quand l’écriture, qui l’a fait renaître une seconde fois, n’est pas au rendez-vous.

Tout est différent car Lionel Duroy a aujourd’hui plus de soixante dix ans et la grille de lecture de sa vie a changé, les perspectives, à défaut de prise de hauteur, ont changé d’angle. C’est cette perspective nouvelle qui fait l’intérêt majeur de ce remarquable texte. Tous les évènements d'une vie déjà racontés ont « de nouveaux échos en moi, mon regard leur conférant au fil des années d’autres significations, que je n’avais pas su voir, comme si nous étions condamnés à courir toute notre vie derrière la personne que nous sommes sans jamais parvenir à la rattraper » écrit il dès le début.

L’intérêt de cette oeuvre majeure réside dans l’honnêteté que met l’homme à décrire son existence. Intransigeant avec lui même, il juge ses faiblesses sans complaisance, sans tomber dans l’auto flagellation ou l’auto apitoiement. Il ne se regarde pas comme Narcisse dans son reflet pour s’admirer ou se détester mais cherche à comprendre ses actes, ses fuites perpétuelles devant les femmes de sa vie, qui le font trembler, qui font dire aux êtres qu’il aime: « Tu es là, mais tu n’es pas là ». Ce n’est pas à un ressassement que nous assistons mais à un nouvel éclairage, une nouvelle compréhension de ses événements traumatiques qui l’ont forgé: huissiers, saisies, chantiers, internement maternel, inconséquence de Toto et tant d’autres. On sait tout cela mais on a, avec l’auteur, le sentiment de s’approcher cette fois-ci d’une vérité, d’une compréhension.
En trois décennies Lionel Duroy est devenu pour ceux qui le lisent fidèlement une boussole dans la vie. Un ami? Probablement pas. Un confident? Sûrement. Celui vers qui l’on se tourne quand l’existence dissimule des souffrances ou des incompréhensions. Celui qui en auscultant son âme nous offre un miroir. Un accompagnateur de vie.

Eric

Conseillé par (Libraire)
4 janvier 2021

Oh ! Vieillir

« Mourir, cela n’est rien. Mourir, la belle affaire. Mais vieillir, oh vieillir » chantait Jacques Brel.
Laure Adler à sa manière, érudite et ludique, commente ici ce « Oh vieillir » en écrivant «un carnet de voyage au pays que nous irons tous habiter un jour ». Elle dresse un état des lieux de la vieillesse en interrogeant son propre vécu, ses rencontres, en citant des textes d’auteurs et d’autrices et particulièrement Simone de Beauvoir. Il faut bien un jour se regarder dans une glace et constater les dégâts: sans complaisance mais aussi sans apitoiement car l’autrice avec enthousiasme explique que la vieillesse n’est qu’une nouvelle étape dans la vie, la dernière certes, mais nouvelle quand même. Elle décrit aussi en détails comment notre société, qui a transformé les vieux en séniors, ostracise et invisibilise les anciens rangés dans des Ehpad. Surtout elle démontre que vivre dans cet « étrange pays » peut être une « sacrée source de bonheur ».
« La voyageuse de nuit » est donc un livre régénérant, qui n’est surtout pas un guide pour bien vieillir, à une époque où la pandémie nous interroge notamment sur les rapports de la jeunesse et des vieux. Un livre de réflexion, un livre de colère, un livre d’optimisme car on ne peut souhaiter qu’à toutes et tous de vieillir, un état qui montre que l’on est vivant.

Eric

Conseillé par (Libraire)
2 décembre 2020

Le pianiste d'Hitler

« Le pianiste d’Hitler » indique le bandeau de couverture. Il aurait pu aussi être écrit: « Le clown d’Hitler ». Si Ernst Hanfstaengl, dit Putzi, connut notamment Hitler, jeune, grâce à leur amour immodéré pour Wagner, il devint rapidement par son exubérance, sa mégalomanie, une sorte de fou du roi lorsque l’ancien peintre en bâtiment devint chancelier. Mais qui dit amuseur public, dit aussi lassitude, révocation, quand le rire se traduit en ennui. Il vécut tout cela Putzi, fils d’une mère américaine et d’un père allemand, de l’ivresse de la proximité du pouvoir à sa disgrâce en 1937.
Thomas Snégaroff dans un récit qui allie le romanesque à l’Histoire, raconte l’existence de cet homme avec le sens des formules et nous fait pénétrer dans l’environnement immédiat d’Hitler et dans un monde universellement antisémite, où les principes juridiques du racisme mis en place par le régime nazi s’inspirent de textes venus des Etats Unis. Un beau roman qui raconte au plus près la destinée personnelle d’un homme, qui si il ne participa pas directement à la « solution finale » ne renia jamais ses convictions nazies, et des personnages secondaires fascinants comme Winifred Wagner, Thomas Man ou encore Carl Jung.

Eric

Conseillé par (Libraire)
30 novembre 2020

ENORME !

C’est une heureuse coïncidence: la multiplication de documentaires, articles, consacrés au Général de Gaulle à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa mort et la parution de cette biographie de Churchill, une biographie qui fera date, parmi le millier déjà paru. A la lecture de cet ouvrage, les similitudes entre les deux hommes apparaissent rapidement. Dans le désordre total: un physique hors normes qui les fait identifier immédiatement, une fille perdue trop tôt, un goût pour les uniformes, l’armée et la stratégie militaire, le sentiment que les chars joueront dans les conflits futurs un rôle déterminant, un mépris des partis politiques qu’il faut transcender de l’intérieur, des traversées du désert avant ou après la guerre mondiale, un goût pour l’écriture, les « Mémoires », un talent oratoire indéniable mais travaillé, un sens inné de l’Etat et de la nation. Et par dessus tout le sentiment très tôt d’avoir un destin mondial qui ne pourra s’accomplir que dans les plus hautes fonctions de leur nation respective dans les circonstances belliqueuses. Jeune, Churchill ne pense pas à une possible nomination de premier ministre, il cherche à deviner l’année à laquelle il le deviendra. A seize ans il déclare: « Dans les hautes fonctions que j’occuperai, il me reviendra de sauver la capitale et l’empire ».

C'est l'angle choisi par l'auteur pour écrire la vie de celui qui dès la naissance pratiquement voue sa pensée et ses efforts à servir son pays, en se présentant à la députation très jeune, en devenant ministre lors du premier conflit mondial, en se rendant sur le front endossant l’uniforme pendant quelques semaines, manifestant pour la première fois un courage physique indéniable. Sur la durée, jusqu’en 1940 Churchill est déjà une figure imposante avec une carrière politique d’une longévité extraordinaire marquée par de nombreuses fonctions ministérielles, mais c’est bien en chef de guerre qu’il marquera l’Histoire. Nommé au cours d’une réunion à quatre, où la démocratie n’eut guère son mot dire, il put au long de cinq années qui le laissèrent exsangue et épuisé, mettre en oeuvre ce qu’il avait préparé depuis plus de soixante ans: « Car s’il est vrai qu’il a été guidé par la main du destin en mai 1940, c’était un destin qu’il avait consciemment passé sa vie à forger ».

Tel est le fil conducteur de l’ouvrage de Andrew Roberts qui boucle là, une biographie que l’on aime qualifiée de « à l’anglaise » tant la rigueur est de mise, ne prêtant le flanc à aucune interprétation psychologique de bazar, l’auteur niant par exemple toute tendance dépressive du Lord anglais, ne trouvant aucune trace tangible de cette affirmation. Ce sont en effet dans les documents que l’historien cherche sa matière, exploitant des milliers de discours, lettres, archives. Il laisse le lecteur tracer lui même le portrait psychologique de l’homme d’Etat. On découvre ainsi, au fil des 1200 pages, un Churchill visionnaire d’une extraordinaire clairvoyance dans la montée du nazisme, dans la nécessité de réformes sociales plus justes, dans le danger mortel du communisme mais l’auteur met le doigt aussi sur son aveuglement quant au danger de l’arrivée au pouvoir de Mussolini, ses discours à l’emporte pièces clamés parfois pour le plaisir d’un simple bon mot, son extravagance blessante pour son entourage, sa forme de mégalomanie, ses erreurs stratégiques comme l’aventure des Dardanelles.

Churchill qui a longtemps pensé mourir avant 40 ans, qui écrivit lui même à travers des dizaines de pages sa propre histoire offerte à des millions de lecteurs, décéda à l’âge de 91 ans, couronné du Prix Nobel de littérature. Figure incontournable du XX ème siècle, il a côtoyé les plus grands et s’est frotté à de Gaulle dans des relations londoniennes violentes, marquées par la méfiance, mais le respect réciproque, Churchill avouant que De Gaulle fut probablement le plus grand homme d’état français avec Clémenceau. Une distanciation entre personnalité et mission historique qu’il pratiqua tout au long d’une vie incroyable, romanesque mais mise au service avant tout de l’histoire d’une nation, qui apparait en filigrane tout au long de cette biographie exceptionnelle. Quand le rêve d’un destin rejoint la réalité de l’histoire